Des arbres figés dans l’atmosphère statique
Se découpent sur le fond du ciel rougeoyant
On les croirait sortis d’une estampe asiatique
Là où l’ombre de jais fossilise le vent
Leurs branches ont la légèreté des plumes d’oiseau
Fixées à tout jamais dans l’ambre mordorée
Balayant doucement à travers le tableau
Mon âme alanguie par le poids des années
Sur un fil d’air ténu mon esprit se déplace
Et vient se reposer dans l’irréel décor
Peut-être y trouverai-je un jour enfin ma place
Celle du contemplatif serein face à la mort
« Tu es déjà passé » me dit une voix douce
– De l’autre côté ? « Oui, dans la nouvelle vie,
De l’éternel été, où les souvenirs poussent
À l’envers désormais…
On appelle ça « l’oubli » !
BACK IN TOWN
De retour à Paris
Après de longues vacances
Le ciel troué de gris
N’offre plus guère de chance
D’observer la lumière
Dans l’œil de mon prochain
Les êtres solitaires
Transportent leur dédain
Sous les pâles néons
Comme un fléau gratuit
Un air d’accordéon
Désincarne la nuit
Des casquettes bariolées
Salivent sur le sol
Une fille vulgarisée
Est menacée de viol
Par des adolescents
Giclant des escaliers
Et mon regard descend
Sur la pointe des pieds
Le métro hurle à mort
Une gerbe d’étincelles
Flashe un clochard qui dort
Porte de La Chapelle
Ma vie se fond en lui
J’arrête de penser
Et mon œil de souris
Recommence à saigner
VIRGINITÉ
Elle a dans ses yeux noirs
Le reflet d’un anneau
Le signe divinatoire
De l’ère du Taureau
Et quand la nuit attise
La flamme des toreros
Son regard fier se brise
Comme une lame de couteau
Sa bouche dessinée
Par le sang de la bête
Courbe la destinée
Comme l’ange la tête
La promesse est très claire :
Quand viendra le signal
Elle fera de sa chair
Le tombeau du Saint Graal
Puis elle s’évanouira
Comme elle était venue
La nuit ne retiendra
Que le sang répandu
Sur la terre déchirée
Comme au tout premier jour
Les chiens viendront lécher
Ces reliefs de l’amour
OMBRE SANS FIN
Les nuages me précèdent dans leur vie éphémère
Ils déforment en un jour les pensées d’une vie
Quand ils vont cotonneux en effleurant la terre
On dirait des fantômes dont les rêves s’enfuient
Insignifiantes formes ils font pourtant de l’ombre
Au soleil et à Dieu ! Que la lumière est sombre !
Puis ils bougent un peu et la lumière revient
Ce n’est qu’un petit jeu, une volute de rien
Je suis un peu comme eux, être sans importance
Vagabond sous les cieux, je passe de l’enfance
A la vieillesse grise en attendant en vain
Le retour du printemps qui jamais ne revient
Ont-ils bien existé, je veux dire les nuages
Le soleil dévoilé ne leur rend nul hommage
Alors qu’eux, émouvants, donnent parfois des grains…
Et si le ciel n’était que cette ombre sans fin ?